samedi 12 mai 2012

Se libérer des mots

La réalité est si complexe que nous ne pouvons l'exprimer par des mots. Lorsque vous parlez d'un éléphant, vous invoquez son Essence pour que tout le monde puisse savoir de quoi vous parlez, mais vous êtes loin de décrire sa réalité! Pour communiquer, nous avons besoin d'utiliser ces mots afin de traduire nos expériences, nos émotions... Certains peuples premiers utilisent le langage métaphorique: cela fige moins la pensée. Savez vous également pourquoi la Torah n'était écrite qu'avec des consonnes? S'entremêlant avec différentes voyelles, chaque mot pouvait ainsi décrire un univers entier. Il n'y avait pas une lecture, mais bien plusieurs lectures. De même que les meilleurs livres sont ceux avec lesquels on redécouvre un niveau de compréhension à chaque relecture, les Kabbalistes réinterprètent la bible...  Nombreux sont les exemples qui nous montrent l'étroitesse des mots que nous utilisons insouciamment tous les jours...


Le pouvoir des mots

Dans un précédent article je parlais déjà de la notion de danger que comportent les mots positifs. En effet, le mot "projet" a remplacé le mot "hiérarchie", tout comme le mot "qualité" cache ses faiblesses... Le danger vient que les mots forgent notre pensée, source inconsciente de notre action. L'exemple donné par Franck Lepage est flagrant: il y a quelques années seulement, ceux que l'on appelle aujourd'hui des "défavorisés" étaient nommés "des exploités" dans le vocabulaire courant. C'est toujours la même personne et la même situation: dans un cas on a comme une envie de le sortir de sa merde et de s'indigner contre "l'exploitant", dans l'autre, on se dit que c'est la faute à pas de chance et qu'il n'y a rien à faire... De tels mots nous endorment.

Dans un autre article, je parlais également de la difficulté de répondre à une "sobriété heureuse" tant le bonheur était une notion inaccessible à chacun si l'on s'y prend de manière directe et frontale. En effet, la recherche du bonheur posée comme telle n'offre aucun mode d'emploi... En réalité le bonheur est le fruit d'une réponse à nos besoins intérieurs: les fameux besoins satisfaits dont parle la communication non violente. En parlant de bonheur sans comprendre les besoins humains, on tombe dans un jeu pervers où l'individu s'annonce heureux, mais n'a aucune clef de compréhension du véritable bonheur... Sans une compréhension profonde des mots que nous utilisons (et c'est un apprentissage perpétuel), nous nous créons nos propres blocages. Les mots nous enferment dans une vision étriquée que nous croyons complète.


Les relations humaines en jeu

Certains se diront peut être "je n'ai pas envie de me prendre la tête, j'assume l'endormissement et tant pis si ma vision du monde est faussée..." Ok, sauf que cela n'implique pas que vous! Les mots étant utilisés dans le langage pour communiquer avec les autres, ce fourvoiement crée des souffrances inutiles chez les personnes que l'on fréquente. Il y a une expression qu'un ami m'a cité récemment "l'enfer est pavé de bonnes intentions". Malgré toutes les bonnes intentions que vous pourriez avoir pour les personnes qui vous entourent, le pouvoir des mots vous empêchera de les réaliser. Cet enfer est un lieu de solitude et de division des êtres:

Prenez le cas de parents qui, remplis d'amour pour leurs enfants, les forcent à agir selon leur vision d'une vie heureuse. Les enfants sont coupés de leur nature car ils n'ont pas le loisir de rechercher ce qu'est le bonheur pour eux. Les parents sont contents car, même si leurs enfants ont une vie difficile, ils se sentent écoutés et considèrent avoir "de bons enfants"... Que dire de cet amour poussé par l'auto contentement? Notre vision du bonheur est-elle bien celle qui correspond à nos enfants? N'est-il pas important de se poser cette question pour ensuite être attentifs à leurs besoins (attention, il s'agit là des besoins de survie, d'interdépendance... pas des caprices) afin de les rendre véritablement heureux? Comment faire cette démarche pour eux, si nous ne l'appliquons pas déjà pour nous?


La méconnaissance de la nature des mots que nous employons nous divisent et nous enfer-ment. Croyant posséder les mots, nos discussion se transforment facilement en partie de ping pong virtuelle qui seront bien peu productive et génératrice de clivages... Souvent pourtant, une expérience viendra donner tout son sens aux mots qui dans un premier temps nous bloquaient lors du face à face. Le rôle des débats ou des blogs, pour moi, est de révéler des opportunités futures ou bien d'affiner sa vision présente grâce au retour d'autrui. Tout partage doit être motivé par une quête de vérité, ainsi, nous devrions tous être capables d'écouter un avis opposé sans avoir besoin de réagir si ce n'est pour clarifier les pensées... Souvent nos réactions sont plutôt motivées par de l'auto-défense, et la peur projetée de faire souffrir celui à qui l'on va opposer un argument nous coupe parfois d'un dialogue fructueux... Alors merci pour tous vos commentaires, de quelque nature qu'ils soient!

"Blesse moi avec la vérité, mais ne m'épargne pas avec un mensonge"

Nature et nature

Une amie m'a justement envoyé un article semblant s'opposer à mon dernier post sur les rapports homme-femme. C'est en y voyant Yves Bonnardel faire un amalgame entre nature et Nature, que je me suis rendue compte que je faisait le même dans ma tête [d'ailleurs celui-ci a relevé un autre amalgame: celui fait entre les mots loi et Loi, voir la fin de son article]. Il ne faut pas confondre la Nature en tant que milieu naturel et la nature d'un être. Il n'y a bien sûr pas d'être hors-Nature dans le sens où chacun a sa place sur Terre. Il existe cependant des actions hors-nature: ce sont celles qui sont coupées de notre moi profond. Or, pour contacter notre nature profonde, le libre arbitre de chacun doit pouvoir s'exprimer pleinement, sous peine de se retrouver en peine à obéir à un ordre Naturel que l'on nous aurait instruit. Nous devons pour cela sortir au maximum des schémas de la société...

Peu de personnes sont malheureusement dans cette volonté. La colère de l'auteur qui souhaite "en finir avec l'idée de nature" répond donc à un constat réel: une révérence inconditionnelle à tout ce que le mot nature évoque en nous, à commencer par la peinture verte des publicitaires... Heureusement, un indice peut nous indiquer si notre nature s'exprime ou non: la fluidité et le plaisir qui surgit dans nos vies à chaque instant. Plutôt que de suivre la berge du fleuve sinueuse, imprévisible et légère (le courant est moins fort sur la berge), ne pas écouter sa nature revient à ramer à contre courant au milieu de la rivière... Le piège, souvent est que le milieu du fleuve est rassurant: on a l'impression de mieux savoir où l'on va... mais à quel prix? La plus grande difficulté est donc d'apprendre à ne pas se mentir à soi même, et à reconnaître en soi les moments légers de ceux où l'on rame un peu trop fort...

J'illustrerai ce principe en montrant en même temps que la nature d'un être s'exprime différemment en fonction des contextes, et doit être sans cesse réinterrogée. Lorsque j'exerçais mon métier d'ingénieur, j'étais en plein apprentissage: ma nature curieuse s'exprimait. J'ai passé 2 années à travailler ainsi, et cela était juste pour moi car tout était fluide. Passé ce temps, l'apprentissage s'estompait et j'ai découvert une nature plus sauvage faire surface: je ne tenais plus sur une chaise, je m'indignais sans cesse contre la société sans avoir la liberté de mes actions et je dépassais régulièrement les bornes qu'on me posait: j'ai perdu la berge et ramais au milieu d'un torrent en crue! J'aurais peut être pu endormir cette nature en me "raisonnant" sur la condition inespérée de travailler dans ce qui fait ma passion (l'écoconstruction) et dans un cadre très sympa qui plus est. Mais ce travail se révélait à cet instant, aller à l'encontre de ma nature. A la grande incompréhension de tous, je le quittai.


"Ecoute ton coeur"

Ce qu'est l'Essence


A la suite de cette précision entre nature et Nature, restait encore un flou en moi: quel est le lien entre la nature et l'Essence? Il me semble que, plus nos actions correspondent à notre nature, plus elle se font avec aisance et facilité, plus nous approchons de notre Essence. C'est aussi en recherchant cette Essence que nous pouvons expérimenter des actes qui nous rapprocheront peut être de notre nature. Les Essences proposent un rôle à l'homme et à la femme, mais ce rôle détermine bien une façon d'être, plutôt qu'une action précise. Dire que la femme doit être au foyer la cantonne à un certain type d'action indépendant du contexte et de son ressenti. Or sans contact avec le ressenti, il n'y a pas de contact avec sa nature profonde... On est loin de l'Essence!
Dire que l'Essence de la femme se situe dans l'accueil et la vulnérabilité ne la contraint en rien à une action prédéterminée. C'est à chacun-e d'explorer cette dimension que l'on s'autorise peu de nos jours, pour mieux contacter notre nature intérieure et harmoniser les domaines de notre vie qui ne sont pas fluides. C'est à chacun-e de trouver sa façon d'agir en fonction de son ressenti et du contexte qui lui sont propres, en programmant s'il le faut des temps d'inconfort pour mieux comprendre ce que l'Essence a à apporter... Car l'Essence est un guide, sa recherche initiatrice.

L'initiation commence justement lorsque nous devons apprendre à reconnaître en nous notre nature Ying Yang que décrit la sagesse Asiatique. L'un des enseignements de ce symbole est qu'en chacun de nous se côtoient l'Essence du féminin et du masculin. Cependant, il est important de comprendre que le féminin de l'homme (l'anima) ne s'exprimera pas de la même manière que le Féminin de la femme. Et inversement. Ainsi, à notre époque, beaucoup de femmes ont adoptées une Essence Masculine, réalisant une attitude très "rude" pour pouvoir accéder aux milieux de pouvoir détenus par les hommes. L'aspect féminin de certaines ne fait que recouvrir l'adoption d'un comportement plus pénétrant qu'accueillant... Cette étape était sûrement une étape nécessaire, mais ce n'est plus en imitant la lutte et la confrontation masculine que les femmes pourront exercer leur féminité profonde et permettre aux hommes d'accéder à la leur. Comment permettre à ceux ci de trouver le chemin de leur propre anima si les femmes qu'ils ont en face leur montrent uniquement les caractéristiques d'une société patriarcale déviante? Que cela ne nous empêche pas de lutter si nous en ressentons le besoin! Mais apprenons à lutter avec fluidité, dans l’accueil et le plaisir...




La nature floue de la vie et des Essences

Un deuxième enseignement du symbole Ying Yang, pour moi, est que tout n'est pas blanc ou noir. Pendant que le monde occidental se construisait sur une logique binaire (1 ou 0 / bien ou mal), les asiatiques, eux développaient ce qu'on appelle la logique floue. Bien que les deux logiques aient leur intérêt pratique, il me semble que nous ayons tout intérêt à nous intéresser à cette dernière, pour nous familiariser avec des notions réelles que nos problèmes d'éthique ont du mal à cerner:
"La définition même de « l'humain » reste extrêmement floue. Les fœtus sont-ils des humains ? Quid des spermatozoïdes ou des ovules ? Quid des individus en coma dépassé, que l'on se sent obligés de déclarer en état de « mort clinique » (alors qu'ils restent indubitablement vivants) pour s'autoriser à les « débrancher » ? Le critère de l'humain ne correspond ainsi en rien à une définition scientifique qui serait acceptable par chacun, indépendamment de ses présupposés philosophiques ou théologiques." Yves Bonnardel
Il n'existe pas une définition exacte de l'humain, incroyable non? Pourtant, en Essence, on comprend tous ce qu'est un humain! Avec un raisonnement calqué sur la logique floue, nous pourrions conventionnellement fixer le degrés zéro de l'humain aux spermatozoïdes par exemple, et exprimer que l'embryon se rapproche de l'Essence humaine au fur et à mesure de sa croissance... Ensuite à nous de voir si un début d'être humain doit répondre aux même règles qu'un être humain complet... Il n'empêche que la dénomination laisse déjà plus à réfléchir je trouve.
De la même façon, j'avais pu constater avec mes recherches sur le temps (qui feront l'objet de futurs articles) à quel point notre monde occidentalisé avait inventé la précision. En effet, le temps scientifique nous fait distinguer jusqu'aux micro secondes, et nous sommes quasiment tous dépendants d'un agenda parfois chargé à la demi heure près:
"En Afrique subsaharienne, la mesure du temps n'est pas quantitative et la notion d'exactitude y est inconnue. Tout se fait par petites touches, par approximations. Du temps et de sa maîtrise, les cultures africaines semblent dire, par ce vague qu'elles entretiennent, que toute production d'un calendrier est une écriture en marge de la Nature." Pr. Balandier
Dans "introduction à la pensée complexe", Edgar Morin rejoint également ce constat: bien que l'on puisse fonctionner en connaissant les Essences de l'amour et de l'amitié, plus on essaye de les définir, moins leur frontière sera distincte... L'homme occidental, n'a plus conscience de cette qualité essentielle de la Nature. Il est illusionné par la croyance d'un temps réduit à un support millimétré lui permettant d'organiser ses projets. Illusionné également par les mots et les définitions dont il a besoin pour comprendre le monde. En pratiquant une plus grande attention à la nature du temps et de la vie, nous pourrions bénéficier à la fois des avantages d'un monde précis tout comme de ceux issus de ce monde ouvert aux hasards et aux synchronicités.

Chercher son Essence, Trouver son pouvoir

Les Essences de l'homme et de la femme sont également floues! Il n'en reste pas moins qu'elles existent et sont différentes... Bien trop souvent, j'ai pu constater cette logique implacable disant que "puisque l'homme et la femme doivent devenir égaux, ils ne doivent pas être différenciés". Les erreurs du passé amènent notre esprit rationnel à supprimer la cause estimée de notre mal être: en gommant les différences homme-femme, aucun risque de retomber dans les schémas sclérosants de l'homme travaillant pour la femme au foyer... Pourtant, l'égalité de l'homme et de la femme doit elle nous soustraire à leur complémentarité naturelle? Bien sûr que cette fameuse complémentarité est recherchée et appréciée, c'est bien le but de l'égalité des sexes... Cependant, en ne permettant pas à chacun d'entrer pleinement dans son essence, ne nous coupons nous pas d'une réelle force?

Que serait une société où l'on nierai la différence entre l'amour et l'amitié sous prétexte qu'il existe de "l'amitié amoureuse" ou encore de "l'amour amical"? Adolescente, je me trouvais justement en pleine confusion avec mon premier amour... En m'interrogeant sur l'Essence de l'amour et de l'amitié, une seule réponse m'étais apparue: "si je l'aime vraiment, je devrais pouvoir être totalement moi-même avec lui". Ce n'était pas le cas, alors j'ai rompu. Interroger l'affirmation de son identité est vraiment la pierre de touche pour détecter UNE frontière entre les Essences, celle dont nous avons besoin dans un certain contexte de vie pour nous permettre de trancher et agir... 

Concernant les Essences de l'homme et de la femme, le cas est encore plus complexe. Difficile en effet de voir si la complémentarité des genres exerce son plein potentiel! Dans le cas de mon premier amour, je pouvais aisément juger de mon comportement avec ou sans lui. Concernant ma propre Essence, difficile de savoir si je suis pleinement moi même sans chercher à l'expérimenter et donc sans chercher à me définir... En choisissant de rompre avec mon premier amour, j'ai gagné un pouvoir énorme sur ma vie. Nier la différence entre l'homme et la femme, c'est retomber dans une confusion d'adolescent qui nous pousse à adopter des comportements, souvent incohérents avec notre nature profonde. La recherche de l'Essence pousse vers notre recherche d'identité, nous faisant gagner en liberté sur nous même et construisant une complémentarité soudée avec l'autre sexe.


Transcender la logique binaire

Je pense que cette appréhension de certains à toucher aux Essences vient de notre logique de pensée. Notre société rationnelle pensait pouvoir décrire le monde avec un modèle carré et précis, un univers Newtonien où toutes les expériences peuvent être isolées et mises à l'étude. Mais nous ne changerons pas la réalité, et celle ci est floue, ses frontières indéfinissables! Bien que la science réalise des progrès certains dans ce domaine, il n'en reste pas moins que nos esprits ont du mal à jongler avec ces notions. Nous avons appris à fonctionner avec une vision très précise de nos projets, du temps, de nos idées, mais la Nature n'a pas l'intention de rentrer dans le rang...
"Dans la vision classique quand apparaît une contradiction dans un raisonnement, c'est un signe d'erreur. Il faut faire marche arrière et prendre un autre raisonnement. Or, dans la vision complexe, quand on arrive par des voies empirico-rationnelles à des contradictions, cela signifie non pas une erreur mais l'atteinte d'une nappe profonde de la réalité qui, justement parce qu'elle est profonde, ne peut être traduite dans notre logique." Edgar Morin

Le processus de recherche des Essences, tout comme les débats sont important pour modeler notre identité et notre vision du monde. En restant braqués sur des mots pour décrire le monde et en débattre, on passe à côté d'une réalité bien plus complexe. Avez vous noté comme notre intelligence est étriquée? Avez vous ressenti l'intelligence remarquable dont semble dotée la Nature? En me confiant à mon ressenti intérieur, à ma nature profonde, j'ai fait l'expérience répétée de voir apparaître l'harmonie: ces moments où tout semble prendre une place parfaite, un chemin empli de synchronicités. C'est par un dialogue permanent avec notre nature profonde et dans nos relations avec autrui que "le monde empirique transcendera tout délire logique" (E. Morin)... La vie nous demande d'interroger notre cœur pour sortir de la prison des mots, cesser de nous diviser sur des idées et affirmer notre identité, tout en nous confiant à cette intelligence qui nous dépasse.


Libérons nous des mots par nos cœurs qui battent le rythme de notre nature profonde!

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    Bravo pour ce long post si clair et passionnant, je suis une amie de Danielle Hamel qui m'a parlé de toi.
    Bonne continuation.
    Isabelle

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  2. Merci Isabelle! Je retiens en particulier ta remarque sur la clareté, c'est vraiment quelque chose que j'ai eu du mal à travailler sur cet article, alors merci pour ce cadeau :)
    Heureuse de pouvoir transmettre cette passion qui me brûle en ce moment!!!
    A suivre :)

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